Le Capitalisme est-il compliqué ?

Contribution au débat. 


    «  Beaucoup disent  vouloir sortir du capitalisme, mais personne ne sait comment. Chacun voit les inégalités sociales, mais qui veut en sortir ? » J’aborde ces deux points, car j’observe une immense confusion.  


Mes amis lisent et aiment bien souvent, les écrits que pour ma part je trouve bien pauvres et abstraits.  Dites moi, sans tricher quels sont les progrès dans l’analyse du Capitalisme depuis Marx ?  


Dites moi,  ce qu’apportent de fondamentalement nouveau, les Piketty, Kempf et consorts ?  Ils disent à l’unisson vouloir sortir du capitalisme et ils ont raison, mais les clés qu’ils donnent n’ouvrent pas les portes.  Je vais essayer de vous dire avec mes mots, pourquoi ils sont eux aussi selon moi «  En Retard d’une Révolution * »  


Pour eux,  avec des variantes bien sur, ils répètent mal après Marx que le capitalisme c’est l’accumulation des richesses. Que celles-ci sont désormais détenues par une part réduite de l’humanité, les fameux 1% qui possèderaient 99%  des richesses.  Dont acte ! 


C’est sur,  que ça fait « clinquant », ça sonne bien dans les attentes, dans les espoirs, avec ce ressenti universel que chaque lecteur se dit qu’il n’est pas parmi ces 1% qui nous prend tout ! Que l’ennemi est là, ces 1% qui s’enrichissent à mesure que nous pensons nous appauvrir. C’est d’une simplicité, d’un simplisme  déconcertant. 


C’est hélas pour les croyants une vision étroite et  infondée de ce qu’est le capitalisme. C’est surtout une contribution aux confusions en cascade.  Ces penseurs ne font que désigner des « personnes » des cartels,  de possédants et réduisent ainsi la lutte nécessaire contre le capitalisme à la portion congrue. Il la place de fait sur le seul champ politique qui n’est pourtant pas le lieu de l’accumulation des ces richesses. Ils en font une lutte contre ces personnes et non contre la nature même de ce qu’est le système économique qui produit  toutes ces inégalités.  Un marché de dupes ! 


Marx et après ? 


    Pour Marx, le capitalisme c’était d’abord la plus value. Le patron qui ne paie qu’une partie de la force de travail aux ouvriers, le reste étant la plus value (le profit)  Il l’a longuement analysé et expliqué dans le Capital, mais aussi dans Salaire-Prix-Profit. 


Le Marxisme s’est constitué  sur cette lutte de classes entre ceux qui détiennent les entreprises et leurs ouvriers exploités. Pour en sortir, il prône une économie de substitution au capitalisme : le socialisme pour aller vers le communisme ce qui est explicite dans  son « Manifeste du parti communiste » en 1848. 


Or, Marx a construit sa théorie Marxiste décrite dans « Le Capital »  au regard mondial des économies vivant dans la pénurie, la rareté. Pour lui le profit était dans la production, il était marchandise puisque toute la production se vendait sans aucune difficulté majeure.  Marx et les Marxistes après lui se sont arrêtés à cette analyse. Elle s’est hélas gravée dans le marbre et s’est érigée en véritable dogme. Elle méritait mieux.  Elle méritait au moins que soit observée par ses disciples, l’évolution des forces productives. 


1929: Inversion d’une vérité millénaire.


    La crise de 1929 a bouleversé la donne. Créant une crise mondiale généralisée de surproduction dans tous les pays dits « développés ».  Cette crise s’est  doublée d’une crise financière gravissime.  Tous les analystes, économistes classiques, hommes politique,  ne voient cette crise que comme l’une des crises cycliques  du capitalisme. Pour eux, elle  passera donc.   


Seul Jacques Duboin,   dénonce d’abord dans l’Oeuvre, puis dans la revue qu’il a fondée en 1932 «  La Grande Relève des Hommes par la Science »  que cette crise est inédite. Que sa nature n’est plus cyclique, mais chronique.  


Cette crise allait inverser une vérité millénaire ou il fallait toujours plus d’hommes au travail pour accroitre la production disait-il. Nous allons désormais, produire plus,   avec de moins une moins de bras au travail grâce à la conjugaison des inventions humaines en matière de progrès technologiques. Il s’agit là d’un processus irréversible. La production va désormais droite avec le chômage disait-il. On voit bien comment les faits lui ont donné mille fois raison.  


Les freins au changements.


    Cette analyse a été combattue pendant des décennies par toute la gauche ( PCF en tête) alors très puissante et par les syndicats ( la CGT ) au sommet de leur force.  Eux étaient et sont restés aux analyses du Capital de Marx sans voir vu les bouleversements par cette évolution des forces productives extra humaine. 


Aujourd’hui, les « économistes »  un peu écoutés et marqués à gauche sont,  avec des mots nouveaux bien sur,  dans les pas de Jean Baby ou Jean Duret les économistes patentés du PCF et de la CGT de cette époque. Dans les pas de ceux qui n’avaient pas compris cette mutation structurelle du capitalisme.  


Qui ose encore dire que l’histoire ne bégaie pas ? 


    Ils ne voient ce système économique qu’à travers ses effets et se concentrent à tort sur cette accumulation des richesses par quelques uns. A tort car le capitalisme s’adapte à tout, surmonte toutes ses difficultés et contradictions dont la plus grande est de vendre une production abondante pour transformer ce profit marchandise en profit argent. C’est sa principale préoccupation. 


Vendre alors que les progrès technologiques, l’organisation des rouages de la production et des échanges atteint des sommets de rationalité pour  accroitre les productivités, baisser les couts pour être « compétitifs » dans une concurrence frénétique des économies mondiales. Ce système économique doit produire plus au moindre coût et vendre ces abondantes productions. 


C’est son dilemme,  vendre,  fabriquer des clients ou mourir !   


Le système capitaliste à dans sa structure, toutes les réponses aux aberrations économiques, écologiques et sociales. 


Cette « incompatibilité »   du capitalisme et du progrès est mise à nue. 


  • Délocalisation de la production pour  baisser les couts. 
  • Croissance exponentielle du consumérisme, produire/vendre .
  • Recherches accentuées pour cette obsolescence programmée.
  • Développement, des activités socialement inutiles. 
  • Reclassement des salariés licenciés dans des productions inutiles. 
  • Accroissement inouï de la hiérarchie des salaires et revenus. Je peux continuer tant la liste  de ses méfaits est encore bien longue.


Parlons de cette  soi-disante « force » du politique ! 


    Or, le champ politique est dans ce système, il ne peut que le « modifier » s’il en a la volonté pas le changer.  Je redis une fois de plus, même si ça ne sert à rien, même si ce n’est pas entendu et/ou compris, quelques fondamentaux :

L’ économie est un système. Elle  agit pour l’essentiel comme un déterminisme. Comme un train sur ses rails. 


L’économie est l’infrastructure. Le politique n’est qu’une superstructure  dont l’économie a besoin pour vivre et se développer.   Il ne peut être la force du changement, mais au mieux l’accompagner. On va considérer le politique comme un régime et l’économie comme un système. Régime politique et système économique. 


La force antagonique du capitalisme est dans ce rapport Capital-Travail.  Elle est donc entre les mains  «  confisquées » de ceux qui aujourd’hui produisent et vendent. Ceux qui sont à la production des biens et des services, ceux qui  sont à la vente de ces productions.  Ces « mains confisquées » par des années de soumission au politique. Le salariat a fini par déléguer tous ses pouvoirs, à ne pas voir  qu’il pourrait être la force émancipatrice. 


Le Capitalisme c’est quoi ? 


    Après ce passage sur « les forces du changement d’économie » , je reviens sur la nature même du système capitaliste.  Pour simplifier on va dire que c’est un système qui donne 100 à ceux qui produisent et leur demande 120  comme consommateurs. C’est donc un système qui se réduit  par les 100/120 ou 10/12 ou les 5/6ème… Un système qui  ne peut donc vendre ce 1/6ème aux producteurs eux mêmes, puisqu’ils n’ont pas été rémunérés pour ça.


Un système qui voit son 1/6ème, ces invendables aux producteurs,  croitre sans cesse avec le volume de production. Un système qui explique  qu’il est contraint, quels que soient les chefs d’entreprises, les gouvernants politiques,   de trouver des acheteurs pour cette immense partie d’invendables dans une compétition frénétique et mondiale. Un système qui  par nature  ne peut que concourir aux gaspillages et à la destruction des ressources.


Oui, nous faisons fausse route ! 


    Ce combat contre les riches,   contre « ces 1% »  ne résout  rien si ce système perdure et si « ces 1% »  disparaissaient.  S’ils étaient 80% a  posséder toutes les richesses, la société serait peut-être moins inégalitaire, certes, mais rien de plus. Les problèmes et les aberrations inhérentes au capitalisme continueraient d’exister.


Je veux dire à nouveau que ce n’est pas d’un combat contre les hommes, contre des personnes, comme le répètent à l’unisson tous les pseudo économistes, les politiques et ceux qui les suivent,  médias compris dont nous avons besoin. Mais d’un combat contre le système économique qui les engendre. 


C’est plus difficile, mais  depuis toutes ces années, avec tous ces vaillants combattants, depuis que ce combat est mené  contre « les capitalistes » contre « les politiques » sans aucun réel succès, je crois qu’il est urgent de s’interroger collectivement. Il est temps de mettre les choses à plat pour une véritable analyse et trouver ensuite ce nouveau paradigme. 



J’ai dis que nous avions 1/6ème d’invendables aux producteurs. 

Que c’était le souci principal de cette économie qui résiste et cherche « ses solutions » de survie.  Je vais ajouter un autre élément qui  accroit  sensiblement ces difficultés du capitalisme. 


Si par pure utopie les revenus étaient égalitaires.  Le « capitalisme » n’aurait besoin de trouver des débouchés, de créer des acheteurs,  que pour  ce 1/6ème  d’invendables aux producteurs comme nous l’avons vu. Ce qui est rappelons-le considérable avec les productions sans cesse croissantes.


Les invendus de la hiérarchie des salaires et revenus ! 


    Ses difficultés ne s’arrêtent pas là, il lui faut y ajouter ce que je vais nommer « les invendus »  qui eux sont le fruit de cette exponentielle et croissante disparité des salaires et revenus. Jamais dans l’histoire, la hiérarchie des salaires n’a tété aussi forte. Dans les années 70-80, la CFDT seule  se battait encore pour des hausses de salaires  en volume, pas en pourcentage.  Ceci est abandonné par tous les syndicats et les partis politique ne s’en soucient guère. 

Or, chacun voit sur la durée que les hausses de salaires en taux creusent encore les inégalités…


Donc, les mieux lotis, le mieux payés, les plus hauts salaires et revenus ne dépensent pas  tous leurs gains. Ils épargnent. Cette épargne  n’a jamais été aussi grande dans notre pays. Il faut avouer que pour un pays  « en crise » c’est cocasse !  


On voit bien, que même avec un bac moins deux, trois, quatre,   cinq, notre pays  n’est que dans une crise économique au sens dramatique du terme ou l’on sous produirait. Les magasins, entrepôts, ports de commerces, regorgent de marchandises que l’on ne produit volontairement qu’en fonction de la demande et des consommateurs solvables. 


La crise, oui, mais laquelle ? 


    Celle de la surproduction, de la mévente. Celle de la misère dans l’abondance trop de monde.

Cette crise est celle de productions invendables aux producteurs, d’invendus (hiérarchie)  d’inégalités sociales, de mévente et de surproductions généralisées. 


Je n’introduis pas la crise démocratique, la gouvernance qui ne sont que le fruit d’un système économique fatigué qui fragilise la crédibilité du politique à changer les choses. Je ne veux pas  donner au politique un pouvoir dont il se targue, mais qu’il n’a pas, celui de changer l’économie.  


En guise de conclusion 

 

    Chers amis, car c’est à vous que je m’adresse. Non les 1% qui possèdent  ne sont pas « le problème » ils sont l’héritage du problème. Ils possèdent des capitaux, sont riches, mais les vraies richesses sont celles que nous produisons, que nous faisons chaque jour pour ce système économique.  Mon message n’est pas de les adouber, mais d’essayer de  comprendre que pendant que les « grands conseillers » nous orientent vers eux, vers ces 1%, nous évitons de réfléchir au comment pourrions-nous  organiser l’économie autrement.  A réfléchir à quelle économie doit succéder à cette économie de la vente, au capitalisme  dans l’histoire moderne ?  


Vers quelle économie après le capitalisme ?

 

Est-ce une « économie distributive » mise à jour, comme l’imaginait Jacques Duboin ? Une économie ou le travail socialement utile deviendrait un « Service Social »  ou le salaire  n’y serait plus lié à l’emploi, mais deviendrait un « Revenu Social »  tout au long de la vie. Ou surement  nous aurions à réfléchir sur une monnaie de consommation intérieure  non thésaurisable, conservant l’euro pour les échanges commerciaux. 



Oui, il faut écraser la hiérarchie qui est un fléau !


    Des études des années 70 de Joseph Pastor, montraient que la hiérarchie des revenus prenait plus aux salaires et revenus le plus bas,  que « les profits eux mêmes ". C’est dire ce que c’est aujourd’hui ! 


Cette donnée ne s’invite jamais dans les écrits des « grands penseurs » donc dans nos raisonnements, donc dans nos luttes. Pourquoi ?  Chacun sait et Laurent Berger le répète fort justement que notre pays  avec 10 millions de pauvres  laissés sur la bas coté doit trouver des solutions humaines et sociales…La hiérarchie, la redistribution  doivent être réinvitées dans ce débat. 


Changer le personnel politique et après ? 


    Ce n’est pas le personnel politique qu’il faut changer, mais le système économique. Avec une sortie de cette économie capitaliste nous aurons aussi  des dirigeants. Ils feront à peu près comme ceux que nous connaissons, ils appliqueront ce que la nouvelle infrastructure, la nouvelle  économie impose à une superstructure chargée de la développer et de la conserver. Bien sur les modes de « gouvernance » seront l’objet d’un vaste débat démocratique ou les citoyens  définiront  ce qui leur convient. 


Au royaume des utopies réalistes, l’impasse politique !


    Pour conclure,  je sais que c’est un grand voyage dans le futur. Mais il n’est pas pire que celui qui aujourd’hui  érige des murs, des frustrations et fait perdurer des voies sans issues. Notre planète   fragilisée par un système économique ne s’en sortira qu’avec un changement structurel. C’est à dire d’économie, le politique suivra !   


Je ne ne dis pas que suis hostile aux reformes  utiles,  écologiques, sociales, démocratiques, institutionnelles… Non, il faut les faire. 


Toute ma vie je me suis battu ainsi : améliorer le quotidien dans une organisation collective, mobiliser ces collectifs de salariés vers d’autres horizons de vie… aller avec eux vers les changements à faire, pas sans eux, mais avec eux.  Aller avec ceux,  qui aujourd’hui produisent et vendent pour une économie à bout de souffle.  Avec eux pas seulement contre un système  économique qui représente tous les dangers, mais pour en construire un  autre, égalitaire, démocratique, distributif de tout ce qui est abondant. Un système  ou la question des choix de productions utiles se poserait collectivement.   A nous d’être capables d’imaginer  les termes de ces débats collectifs qui contribueraient à essayer d’en sortir vraiment. 


Qui peut croire qu’il est utopique de penser qu’avec le monde du travail nous serions incapables d’imaginer un futur désirable et nécessaire ? Que nous serions incapables  de faire demain pour le bien commun, ce que nous faisons aujourd’hui contre un salaire  pour ce sytème, produire utile et distribuer les richesses autrement. 


Gilles Denigot

23 novembre  2020.  


* « En Retard d’une Révolution » livre de Joseph Pastor en 74 auquel j’ai contribué. Livre  adressé à l’extrême gauche.  

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