Emploi, robots et revenu

A partir d’une idée très ancienne.

Préambule. J'ai publié cet article lors des débats pour les présidentielles de 2017.

Les débats de la présidentielle ont pour la 1ère fois invité une idée “neuve” dans l’espace public, celle du revenu universel et à travers lui la remise en cause du travail et de sa finalité. Je suis comme d’autres, surpris de la soudaine, vertigineuse mutation intellectuelle de la pensée écologique de Benoit Hamon. Des lustres après les écologistes qui existaient bien avant les Verts, quelques années après la “planification écologique” de Jean Luc Mélenchon, voilà qu’un cadre du PS entre dans la danse et c’est tant mieux.

Le constat repris par Hamon est très ancien, il ne l’a pas vu et ébranlé lors des précédentes mutations économiques, agricole vers l’industrie, industrielle vers le tertiaire, puis vers les services... Des pans entiers de l’économie étaient détruit faisant basculer la société vers un chômage de masse. Pourtant, lui et son parti sont restés sourds, ont combattu ou regardé ailleurs pendant que des économistes “de seconde zone “tiraient la sonnette d’alarme sur les causes et aussi le traitement possible.

Il suffit d’une primaire, d’une présidentielle, ou encore d’une mutation sans précédent dans la révolution du numérique et ses conséquences pour que sorte du chapeau une réponse adossée à un constat. Le travail va se raréfier et les citoyens sans emploi ont besoin de vivre. On pourrait s’attendre à un revenu aux privés d’emploi, à une dissociation du salaire et de l’emploi, à une amélioration sensible des actuels dispositifs ( allocation de chômage, RSA... etc) qui sont inéquitables. Non Benoit Hamon tranche et s’inscrit dans une mesure qui s’est invitée dans le débat associatif et politique, à travers le revenu de base, d’existence ou encore universel... Il choisit l’option du RU versé à tous sans exception et indique le chiffre de 600 € (?) par mois sans aucune condition. Dont acte !

A titre personnel et politique, j’ai trois bonnes raisons de me réjouir d’une telle démarche... 1) Peu renverrons à l’expéditeur le chèque qui va tomber comme un cadeau de Noel chaque mois. Pour notre couple, c’est 14 400 € annuel soit une hausse de revenu de 65% qu’aucun employeur n’a jamais versé malgré des années de dures luttes syndicales et politiques.......... 2) Politiquement, je me réjouis de l’approche Hamon indiquant que les progrès des sciences et des techniques peuvent détruire des emplois non remplacés. C’est un discours que je porte depuis que je m’intéresse à la politique. J’avais 21 ans en 1969 au contact d’un syndicaliste ouvrier des chantiers navals de Saint- Nazaire Jules Godeau qui m’expliquait tout ça de façon très bien argumentée. Il observait les faits et comparait aux idéologies archaiques véhiculées. 3) Ce Revenu Universel, c’est sous une autre forme, une approche de ce revenu social garanti que prônait Jacques Duboin dès la crise des années 30, dans tous ses livres et dans la revue “La Grande Relève des Hommes par la Science”. Son mouvement d’initiation économique le MFA ( Mouvement Français pour l’Abondance ) a compté jusqu’à 300 000 adhérents avant la guerre. Jacques Duboin disait que la société allait de façon irréversible vivre l’inversion d’une vérité millénaire “ la production allait croître avec le chômage car nous allons produire plus avec moins de monde au travail”...Les foudres des économistes patentés tels Jean Baby PCF et Jean Duret CGT ( nous parlons d’une époque ou ces deux formations étaient excessivement puissantes) tombaient violemment à longueur d’écrits et d’actes moins bienveillants contre ces idées qui après la guerre pénétraient le milieu ouvrier et syndical notamment à St Nazaire. Je me suis moi même battu syndicalement pour cette “dissociation du travail et de l’emploi, pour ce salaire garanti aux licenciés et aux sans emplois”.

Tracts, brochures, réunions, mais aucune écoute du monde politique, juste des moqueries de l’extrême gauche des années 70 et un rejet constant des centrales syndicales arc boutées à l’illusion du plein emploi. Nous étions dans la période des 1ers licenciements industriels de masse et l’Etat garantissait pourtant 90% du salaire aux licenciés sans aucune revendication syndicale ou politique. Passons !

Malgré cela, malgré mon combat, je ne crois pas à la faisabilité telle que le décrit B. Hamon. Je ne parle même pas de la question du financement, je laisse ça à ceux qui ont les vrais chiffres, les moyens de leur faire dire tout et son contraire. Alors, oui on peut comprendre le caractère alléchant d’une telle mesure, ce n’est pas le SDF, le citoyen au RSA, le Smicard, ces millions de travailleurs pauvres et bien d’autres comme moi qui diront qu’ils n’en veulent pas. Ce ne sont pas les “intellectuels” en panne d’idées qui diront qu’ils sont contre celle que Hamon a invité dans le débat public...L’important, reste d’y croire et/ou de le faire croire.

Je suis choqué et totalement en désaccord avec le fait que ce Revenu Universel, Revenu Social comme disait Jacques Duboin, qui l’adossait à un un travail résiduel devenu un service social, soit sans condition. Qu’il soit versé à tous, du plus pauvre, à Liliane Bettencourt lisons nous ici et là....Faut-il continuer à creuser le champs des inégalités qui ne soucient guère le monde politique, alors que c’est un sujet essentiel ? Par contre, je suis de ceux qui pensent qu’il faut une vraie mesure sociale politiquement juste pour arrêter le désespoir et pour que les citoyens/salariés puissent reprendre confiance et aller vers une société plus partageuse de tout.

Le Revenu Universel est-il une mesure socialement juste ?

Globalement, nous n’avons jamais si peu travaillé, carrière active plus courte, durée du travail également.... Et nous savons que les gains de productivité du travail vont continuer de dévorer des emplois. C’est la logique du déterminisme du capitalisme “ produire plus, pour vendre au moindre coût” . Dans tout système économique (même avec des régimes Etatiques) le politique est bien impuissant à se substituer à cette économie qui a besoin de lui pour vivre et se développer. Il n’intervient que dans le niveau de régulation. N’oublions pas que le prix de revient de la production c’est l’ensemble des salaires versés pour la faire, investissement inclus puisque ce sont aussi des salaires.

Une entreprise qui ne se modernise pas meurt, celle qui se modernise, produit plus et souvent (toujours ) avec moins de monde. Si l’amortissement fait dans les machines, robots, est écrasé par les taxes, l’effet recherché est nul, à moins d’avoir une harmonisation internationale et à minima européenne. Les emplois nouveaux ne compensent pas ceux qui sont détruits, leur utilité sociale, le consumérisme à tout va et l’’obsolescence des produits devraient interroger tous les décideurs soucieux de l’équilibre des écosystèmes et des ressources. Le but du Revenu Universel de Benoit Hamon, n’est pas seulement je suppose de donner du pouvoir d’achat à tous, il murmure, mais sans dire comment que c’est pour commencer à dissocier salaire et emploi, à laisser du choix, du temps libre...Soyons francs, si c’est le cas, ça ne concerne que ceux qui ont le moins besoin de ses 600 €. C’est à dire ceux qui déjà jouissent de plus de moyens, de loisirs et aussi de culture. Pour les autres, c’est juste un rattrapage financier pour éviter que les fins de mois soient à la 2ème semaine.

Pour une sécurisation des revenus et parcours professionnels.

Si belle soit elle, je ne crois pas que la mesure de Benoit Hamon soit tenable. Je la trouve intéressante, mais injuste et pas en mesure de nous conduire vers la route des partages et des solidarités. Le but est-il de laisser à vie des personnes avec ce seul Revenu Universel sans qu’elles soient intégrées au monde social du travail résiduel, à la vie économique, à la vie réelle ?

D’autres voies sont possibles :

Je suis pour un vaste plan Marschal de l’emploi, des formations, des parcours, des mobilités et du revenu à vie.

Ce devrait être le 1er axe de travail du futur président élu. D’abord, une méthode qui a tant fait défaut au gouvernement Valls. Réunir les forces vives et représentatives du pays : syndicats de salariés et d’employeurs, sociologues, techniciens, un membre de chaque groupe parlementaire, techniciens, présidents des régions et se donner six mois pour aller au consensus sur le diagnostic, les objectifs, le projet. Ce dispositif doit conduire à un pacte gouvernemental et social.

Je prône pour que chaque jeune sortant du milieu scolaire et éducatif soit de suite mis dans ces plans de formations régionales. Que celles-ci soient des formations intégrées au travail ( FIT ). Le but est de sécuriser la vie active toute entière sans rupture au delà de 1 mois.

Ce pacte gouvernemental et social, c’est celui qui associe ; formations-emplois-mobilités-revenus. Je ne vois pas ou est l’insertion des jeunes dans le RU alors que là, la socialisation des citoyens est en marche et en fait des travailleurs donnant leur part à la société. Cette démarche va bien entendu au delà des seuls emplois marchands, elle touche les activités de bénévolat souvent partie intégrante de l’économie sociale et solidaire.

Ce pacte pour les jeunes, école, emploi, formation, mobilité, revenu, concerne également les secousses économiques qui touchent les actifs. Chaque licencié, ainsi que chaque chômeur entre dans le processus du pacte. Il ne doit laisser personne sur la bas coté.

Nous pouvons considérer que ce pacte “ sécurisation des parcours et des revenus” aura pour but d’enclencher le processus du partage du travail et de sa diminution. Je ne crois pas que le Revenu Universel soit si pertinent sur la solidarité, sur l’insertion, sur l’éthique, sur la diminution du temps de travail, sur les questions écologiques et sur le coût...

Gilles Denigot, Syndicaliste, écologiste, militant pour une économie distributive




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